Rédigé il y a plus de 80 ans dans la prison de Fresnes, Héliogabale marque l’entrée de Jean Genet dans l’écriture dramatique. L’écrivain-taulard se sert de la figure de l’empereur romain pour développer les thèmes qui lui sont chers : la déchéance, l’abject, la lâcheté, la saleté, la merde.
Le 09/04/2024 à 15:55 par Ugo Loumé
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Publié le :
09/04/2024 à 15:55
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Dans La Part maudite, Georges Bataille décrit le soleil comme ce qui se donne en soi : « La source et l'essence de notre richesse sont données dans le rayonnement du soleil, qui dispense l'énergie – la richesse – sans contrepartie. Le soleil donne sans jamais recevoir. »
À l'opposé d'Icare — malheureux de s'être brûlé les ailes pour avoir volé trop près du soleil — Héliogabale, comme son nom l'indique, ne fait qu'un avec le soleil, et comme lui, la brûlure est son essence même.
Syrien devenu empereur par un concours de circonstances, Héliogabale se révèlera être tout le contraire de ce que sa fonction réclame de lui. Vient alors le moment où, fatiguée de ses extravagances et de le voir consumer l'Empire et se consumer lui-même, sa grand-mère, celle qui l'avait jadis porté sur le trône, complote contre lui au profit de son autre petit-fils.
C'est ici que Genet démarre son drame en quatre actes.
Héliogabale va mourir sous peu, et d'une mort infâme. C’est l’oracle qui en informe la grand-mère : « (Il est attentif, il lit dans les tripes du poulet) : Toujours de l'eau, Madame. (Il cherche encore.) Je vois encore de l'eau. (Un long silence.) Il mourra... peut-être un jour de pluie, comme aujourd'hui... »
De son côté, le grand-prêtre du Soleil continue de se brûler et de brûler ce qui l'entoure : sa divinité, son énergie et ses richesses, en même temps que celles de l’Empire à qui il s’est identifié : « Je sens qu'il n'y a plus qu'un cheveu qui retienne [la divinité] à moi. Elle pend à un fil qui s'amincit, elle tombera sous peu, et je resterai seul avec mon humanité. » Atteindre une sainteté authentique en rejoignant cette humanité la plus basse, voilà ce que souhaite le jeune et beau empereur prodigue : « Nous serons plus forts que le monde puisque nous habiterons l'immonde ».
Dans cette quête de déchéance, il a choisi, pour l'accompagner, un cocher répondant au nom d'Aéginus. Avec lui, il cherche à créer un amour invincible dans l'abject et le fumier :
Et pour obtenir ton amitié profonde, allant jusque par-delà le dégoût que d'abord je t'inspire, il fallait bien que je présente de moi l'image, vraie du reste, qui te dégoûterait de moi. Sur laquelle tu cracherais. J'y arrive, mon petit. Tu vois depuis quelque temps cette image, mais si tu sais y résister, si malgré ce que de moi je te présente d'abject tu continues de m'aimer, si tu ne te rebutes pas en voyant mon fumier, si ton amitié passe le cap du fumier, alors nous nous aimerons jusqu'à la damnation. Tu m'aimeras dans le tombeau.
Son voeu s'exaucera à merveille lorsqu'il sera contraint d'être tué par son amant, étranglé dans les chiottes publiques. Une mort des plus pathétiques, une mort littéralement merdique, dans laquelle Héliogabale trouve exactement ce qu'il cherchait : « Cet instant est sacré. »
En 1934, Antonin Artaud publiait Héliogabale ou l'anarchiste couronné. Cet ouvrage a certainement influencé Jean Genet, qui admirait Artaud. Mais Ilios Chailly, auteur d'une étude sur l'oeuvre de ce dernier, Héliogabale ou l'Alchimiste couronné , — qui a également joué Les Bonnes de Genet au théâtre —, souligne auprès d'ActuaLitté que les deux écrivains ont tant mis d'eux-mêmes dans leurs oeuvres respectives que chaque livre offre un univers complètement différent.
Ce que Genet a mis de lui dans sa pièce, c'est assez évident.
Sa féminité, d'abord : Héliogabale était connu pour son goût pour le travestissement. On pourrait dire de l'antique figure qu'il est une des premières icones queer de l'histoire. L'historien romain Dion Cassus raconte même qu'il demanda à ses médecins de lui greffer un sexe féminin au-dessus de celui, masculin, que la nature lui avait donné.
Son homosexualité, évidemment : Genet offre à son protagoniste un amant aux origines modestes et à l'amour noble. Aéginus est un cocher de cirque, il devient son confident, son seul allié et son tendre ami dans l'intimité.
Son amour pour la marginalité : Ilios Chailly, dans son étude, résume le personnage ainsi : « Comme les gens de la bonne société l’emmerdent, il invite à sa table clochards, mendiants, ivrognes et autres rebuts de l’humanité. » Les rumeurs disent également que, la nuit venue, il vendait son corps pour 2 sous devant les églises chrétiennes. Dans la pièce de Genet, le Syrien va jusqu'à projeter de distribuer ses biens personnels aux voleurs et aux prostitués.
Enfin, et principalement, Héliogabale incarne le caractère sacré qui colle aux écrits de Saint Genet, comme l'a théorisé Sartre dans son ouvrage homonyme. Une sainteté qui s'accomplit dans l'abjection, dans la crasse et dans la fange. Cet empereur, qui se réclamait divin par le soleil, trouve son humanité en mourant sous la pluie. Ce jeune homme, qui brillait par son charme et sa beauté, rend son dernier souffle dans les excréments des citoyens romains.
La divinité passe par l’humanité la plus vile, la beauté par la violence, la douceur par l’abject, l’honneur par la lâcheté. On dirait un grand écart, mais c’est en fait avec l'unité de deux pieds joints que Saint Genet trouve chez cet anarchiste couronné qui a essayé de hisser la marginalité au sommet du monde. Une représentation vivante de la sacralité qu'il cherchait.
Paru le 04/04/2024
104 pages
Editions Gallimard
15,00 €
Paru le 09/07/1952
696 pages
Editions Gallimard
40,10 €
2 Commentaires
Pierre la police
12/04/2024 à 10:34
J'adore genet, son oeuvre a une odeur, pas comme tous ces bouquins fil good de ces dernières années. Vive genet ! Et que vive la merde et la littérature qui sent la vie !
Pierre la police
12/04/2024 à 10:34
J'adore genet, son oeuvre a une odeur, pas comme tous ces bouquins fil good de ces dernières années. Vive genet ! Et que vive la merde et la littérature qui sent la vie !